Du 25 juin au 9 septembre 2022, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale a participé pour une deuxième année consécutive au rallye Vieux-Québec littéraire. Ce rallye invite le public à découvrir 25 points d’intérêt qui témoignent d’une longue tradition littéraire dans le Vieux-Québec. Cette année, dix auteurs et autrices furent invité(e)s à raconter divers artefacts qui marquent ces lieux empreints d’histoire.
Dans le cadre de cet événement littéraire, l’écrivaine Valérie Forgues s’est inspirée de l’exposition À l’Index! Regards sur la censure littéraire au Québec pour rédiger un poème intitulé Possibles qui explore les thématiques de la censure, de la révolte et de la liberté. La Bibliothèque s’est entretenue avec l’autrice au sujet de son expérience et de son processus de création littéraire.
Propos recueillis par Carolyne Ménard
Service de l’information

Quels sont les éléments de l’exposition qui vous ont le plus surprise ou le plus inspirée dans votre création?
VF : Plusieurs éléments ont frappé mon imagination, je pense à la matraque offerte en cadeau à Maurice Duplessis, au registre de la Bibliothèque où figuraient les prêts de cet ancien premier ministre et au titre du livre qu’il n’a jamais rapporté, L’art de tromper, d’intimider et de corrompre l’électeur, aux exemplaires des différents livres qui ont subi de la censure, surtout cléricale, comme le Refus global, Les fées ont soif ou la revue Steak haché. Même si je savais que le clergé avait une forte influence sur ce que les gens avaient le droit de lire ou non, ça m’a profondément choquée de voir à quel point les écrivain(e)s qui étaient pris en grippe pouvaient payer durement le fait d’être critiques, d’avoir une pensée différente. Il y avait une réelle mise en danger pour ces auteurs et autrices de partager des idées qui allaient à l’encontre de celles de l’Église ou du gouvernement en place. Sinon, le vocabulaire, le lexique de l’expo m’ont inspirée. Je me suis composé un champ lexical à partir de mots qui ont une forte résonance, dans l’expo, et en les utilisant dans mon poème, j’ai tenté d’aller plus loin que leur sens premier, de les faire résonner autrement. L’écriture de Possibles a été très ludique comme expérience.
Vous avez rédigé une partie de ce poème sur place à la Bibliothèque, institution ouverte au grand public. Comment ce lieu a-t-il influencé votre expérience et votre écriture?
VF : Je savais que la Bibliothèque était ouverte au grand public, ça faisait longtemps que je me promettais d’y aller. Il a fallu le Rallye Vieux-Québec littéraire pour que j’y fasse mon tour, finalement. Comme je travaille en bibliothèque depuis longtemps et que ce sont des lieux que j’aime visiter, j’étais très curieuse de la découvrir. Je voulais écrire mon poème à la Bibliothèque de l’Assemblée pour m’imprégner de ses murs, de son ambiance, de son histoire, pour que quelque chose se développe entre le lieu et moi. J’ai besoin d’espaces très calmes pour écrire et la Bibliothèque m’a vraiment donné la tranquillité que je recherche. Aussi, comme je me suis inspirée de l’exposition À l’Index! et de son vocabulaire pour composer mon poème, le fait d’être toute proche, d’avoir accès facilement à l’expo a aussi nourri mon écriture.
Comment rattachez-vous le sujet de l’exposition – en l’occurrence la censure – à votre propre expérience d’écrivaine et d’autrice?
VF : Dans mon écriture, je ne me sens pas censurée par des forces extérieures. S’il y a censure, elle vient de moi et j’essaie de la dépasser. Je cherche à me donner toute liberté, à ne pas me mettre de barrière, peu importe les sujets sur lesquels je choisis d’écrire. En découvrant l’exposition, j’ai essayé de m’imaginer ce que ça me ferait si le contexte social ou politique dans lequel je vis m’empêchait d’exercer ma liberté, de partager mes idées ou mes mots. Ça m’a fait sentir très mal, comme si une partie de moi étouffait ou avait peur, bien sûr, et ça a été le point de départ de mon poème : la colère, la révolte, le courage, la liberté. Les mots ont un pouvoir, une portée, même si ce qu’on écrit n’entre pas nécessairement dans la case militante, c’est important d’en avoir conscience, de ne pas oublier que certains paient le gros prix pour leurs idées. On en a eu un exemple tout récemment avec l’attaque perpétrée contre Salman Rushdie.
Pouvez-vous nous parler de votre processus d’écriture et de création? Avez-vous une démarche ou une routine que vous suivez fidèlement?
VF : J’essaie d’écrire librement, régulièrement et rigoureusement, au quotidien, même si ça n’est pas toujours possible. Je ne me mets pas de contraintes, je m’installe à l’ordinateur et j’écris, en me connectant aux éléments, aux sujets qui m’habitent. Je crois au rituel, au travail, à l’habitude de se poser à sa table d’écriture et de se mettre au boulot. Parfois, lors d’une séance d’écriture, il ne se passe rien du tout. Mais c’est aussi ça écrire, faire face au vide, creuser, chercher, laisser venir, voir surgir. Je fais confiance au processus, au mouvement de l’écriture en moi. Je me laisse porter par ce qui m’habite et souvent, les textes trouvent leur forme, qu’ils soient de la poésie, de la prose, des fragments.
Votre poème se termine sur ces mots : « J’orchestre une intervention littéraire ». Que représente une intervention littéraire pour vous?
VF : C’est toute manifestation de la littérature dans le vivant, dans l’espace public, dans le social, le politique aussi. Cela peut être une chronique radio, une performance poétique dans la rue ou sur une scène, un cercle de lecture qui se réunit pour échanger. J’ai écrit ce vers un peu comme un hommage à la puissance de la littérature, à ce qu’elle peut changer, transformer, ébranler, faire tomber.
Pouvez-vous nous parler de vos futurs projets d’écriture?
VF : J’ai plusieurs projets en cours. Je travaille avec un éditeur sur un récit qui aborde le refus de la maternité et l’avortement. C’est un livre qui me tient énormément à cœur, sur lequel je travaille depuis quelques années. Ensuite, je prépare une contribution pour un collectif dont le sujet est la mort. Puis, je dirige un collectif d’autrices qui fait écho à Une chambre à soi, de Virginia Woolf. Tous ces projets doivent paraître en 2023. Enfin, je pars en octobre pour réaliser une résidence d’écriture de deux mois en Bavière, où j’entreprendrai un projet d’écriture sur le deuil et les traces. Sinon, je continue mon travail d’éditrice au Lézard amoureux, mes contributions critiques pour les revues Le Sabord et Nuit blanche, l’animation du cercle de lecture Solitude rompue à la Maison de la littérature, et mon travail à cette bibliothèque. Et j’ai des rêves en flottement, d’exposition, de collaboration avec ma sœur, qui fait de la photo, de chorégraphie autour de mon livre Radiale.