Alors que vient de s’achever le Mois de l’histoire des femmes au Canada, la Bibliothèque de l’Assemblée nationale vous invite à redécouvrir une figure de proue des mouvements féministes, pacifistes et syndicalistes du Québec. Née le 4 novembre 1919, Simonne Monet-Chartrand aura vécu de près tout un pan de l’histoire du Québec, ce qu’elle a raconté dans ses mémoires intitulés Ma vie comme rivière.
Nathalie Rheault[1]
Service de l’information

UNE VIE BIEN REMPLIE
Simonne Monet-Chartrand est née dans une famille bourgeoise de Montréal. Elle suivra le parcours éducatif traditionnel de l’époque dans un pensionnat catholique pour jeunes filles de bonne famille avant de s’inscrire à l’Université de Montréal pour étudier la littérature canadienne-française et l’histoire du Canada. Son enfance se déroulera dans un milieu aisé et traditionnel, mais de tendance libérale. Très tôt, elle s’intéressera à différentes causes sociales comme les droits des femmes et ceux des travailleurs. Elle s’impliquera dans des mouvements tels que les Jeunesses étudiantes catholiques.

C’est en 1941 qu’elle fera la rencontre de Michel Chartrand. Les parents de la jeune Simonne voient mal l’union de leur fille à la santé fragile avec ce jeune homme aux minces perspectives. Aussi, c’est contre l’avis de sa famille que Simonne Monet-Chartrand convolera en justes noces avec une des figures marquantes du syndicalisme québécois.
Simonne Monet-Chartrand appuiera son mari dans toutes ses activités militantes et cela se reflète dans son autobiographie. La campagne des conscrits, la création du Bloc populaire canadien, la grève de l’amiante sont parmi les événements politiques auxquels l’autrice a assisté de près. Elle raconte aussi l’arrestation de son mari pendant la crise d’Octobre et la période d’activisme politique qui s’en est suivi.

Cote : P697,S1,SS1,SSS18,D20
Simonne Monet-Chartrand ne s’est toutefois pas contentée d’être la femme derrière le grand homme. Elle a mené ses propres combats militants qui sont intrinsèquement liés à l’histoire du Québec. Elle a été propagandiste pour les Jeunesses étudiantes catholiques, membre active de l’École des parents du Québec dès ses débuts et cofondatrice de la Voix des femmes et de la Fédération des femmes du Québec. De plus, elle a été scriptrice, recherchiste et documentaliste à Radio-Canada de même que directrice générale adjointe de la Ligue des droits de l’homme. Simonne Monet-Chartrand se décrivait elle-même comme la « Femme à la carte de membre[2] » et on ne compte plus les associations et mouvements auxquels elle a adhéré en quarante ans d’activisme.
Cette grande implication sociale est d’autant plus impressionnante que Simone Monet-Chartrand cumulera toutes ces activités de militantisme avec un autre emploi à temps plein : celui de mère de sept enfants dans un Québec où c’était encore le rôle de la femme de s’occuper de toutes les tâches domestiques. Sans compter que Michel Chartrand était souvent absent, voire en prison, à cause de ses activités militantes. Le couple Chartrand a dû composer à plusieurs reprises avec le spectre de la pauvreté. L’autobiographie racontera aussi ce quotidien pas toujours facile à côté du récit des grands mouvements sociaux auxquels elle a participé. Comme chez bien des féministes, le combat politique et la vie intime sont étroitement entremêlés chez Simonne Monet-Chartrand.

RÉDACTION
Simonne Monet-Chartrand commencera la rédaction de ses mémoires en 1978 alors qu’elle est âgée de 59 ans. Toutefois, elle y pense sérieusement depuis plusieurs années. Elle a toujours aimé écrire, bien qu’elle n’ait pas eu le temps de s’y consacrer autant qu’elle l’aurait voulu, partagée qu’elle était entre ses activités militantes et ses enfants. De plus, plusieurs personnes ont tenté de la convaincre de se lancer dans cette aventure, étant donné les nombreux événements historiques auxquels elle a participé. Comme l’indique Hélène Pelletier-Baillargeon, « Cette mémoire vivante, mais éparse, de près de cinquante ans d’action sociale doit à tout prix être rassemblée pour enraciner et nourrir les projets des générations montantes[3] ». Elle commencera aussi à souffrir de problèmes cardiaques, ce qui lui rappellera que sa santé a toujours été bien fragile. Son père et son grand-père sont tous les deux décédés des suites de ce genre de maladie à peu près au même âge. Elle décidera donc de ralentir ses activités militantes pour mieux se consacrer à l’écriture et au retour sur soi[4].

Image tirée de Ma vie comme rivière : 1949-1963, p. 9
Paru aux Éditions du remue-ménage, maison d’édition ouvertement féministe, le récit de vie de Simonne Monet-Chartrand suscitera l’intérêt. Avec 13 000 exemplaires vendus[5], l’ouvrage est un succès de librairie. Le premier tome est publié en 1981, quelques années seulement avant la fondation de la maison d’édition, il est considéré comme un de leurs meilleurs coups[6]. La parution des quatre tomes[7] s’échelonnera de 1981 à 1992 et occupera les dernières années de vie de l’autrice. La rédaction sera menée de front avec celle d’autres livres, dont le premier tome d’un essai intitulé Pionnières québécoises et regroupements de femmes d’hier à aujourd’hui[8] et du livre L’espoir et le défi de la paix[9], un recueil de textes de plusieurs personnalités sur ce thème. Elle laissera aussi deux manuscrits inachevés à son décès : Les Québécoises et le mouvement pacifiste[10] et la deuxième partie de Pionnières québécoises et regroupements de femmes[11].
PARTICULARITÉS STYLISTIQUES
Ma vie comme rivière se distingue des œuvres autobiographiques plus classiques par son style. En effet, pour raconter sa vie, Simonne Monet-Chartrand a choisi d’agrémenter son récit d’extraits de différents documents écrits au moment des faits racontés. Collectionneuse née, elle a inséré des extraits de lettres, de journal intime, des articles de presse, des textes de conférence ainsi que des documents officiels dans ses mémoires. L’ouvrage est aussi abondamment illustré de photos. Les amateurs d’archives seront bien servis avec ce livre.
Cette technique permet à l’autrice d’ajouter un effet de sincérité à son texte. L’usage d’archives personnelles fonde le souvenir sur des éléments extérieurs à la mémoire, ce qui garantit, jusqu’à un certain point, la véracité du récit. Cette approche est intéressante, car elle aide à contrecarrer un des reproches souvent adressés au genre autobiographique, soit d’être basé sur les souvenirs intrinsèquement subjectifs de l’autrice ou de l’auteur.

Mais surtout, ce procédé crée une polyphonie narrative. En effet, certains de ces textes n’ont pas été écrits par Simonne Monet-Chartrand, mais par des personnes de son entourage ou par des représentants d’institutions officielles. Le but avoué de Ma vie comme rivière, c’est le « témoignage d’une merveilleuse aventure de re-communication avec des personnes connues et aimées durant ma Vie. Puis le désir et le besoin de communication avec le grand public de toutes générations[12] ». Le récit de la vie de Simonne Monet-Chartrand n’est donc pas uniquement raconté par elle, mais aussi par d’autres. Le procédé fait ressortir l’une des thématiques principales de l’œuvre, soit le dialogue avec autrui. Grande communicatrice, l’autrice a passé sa vie à militer activement dans diverses organisations. La forme de l’œuvre permet ainsi d’intégrer le point de vue de l’autre.
Le lectorat peut ainsi identifier les liens qui unissent l’autrice aux autres. Par ses mémoires, Simonne Monet-Chartrand veut porter témoignage de son propre vécu, mais aussi de celui de toute une partie de son époque. Ma vie comme rivière se veut et se présente comme un patrimoine légué à la collectivité québécoise, l’autrice tenant à témoigner de ses propres activités militantes, mais aussi de celles de tous les autres actrices et acteurs sociaux du Québec qu’elle a côtoyé. Sœur Marie Gérin-Lajoie, André Laurendeau, Thérèse Casgrain sont quelques-uns des noms qui émaillent le récit.
CONCLUSION
Simonne Monet-Chartrand est décédée le 18 janvier 1993 à sa résidence de Richelieu quelques mois après la parution du quatrième et dernier tome de Ma vie comme rivière. Elle fait toujours partie de la mémoire collective du Québec. Son nom a été donné à un pavillon du Cégep François-Xavier-Garneau[13], à un centre de femmes victimes de violence conjugale et à leurs enfants[14] ainsi qu’à la bibliothèque du Cégep Marie-Victorin[15]. Plus récemment, Postes Canada mettait en circulation un timbre en son honneur[16].
- L’auteure de cet article a rédigé un mémoire de maîtrise sur le sujet : Nathalie Rheault, Une vie en papier-collé : polyphonie et effets du collage-montage dans le récit autobiographique Ma vie comme rivière de Simonne Monet-Chartrand, Université du Québec à Trois-Rivières, 2014, 127 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 3, 1949-1963, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1988, p. 316. [retour]
- Hélène Pelletier-Baillargeon, et autres, « Présentation », dans Hélène Pelletier-Baillargeon, et autres, dir., Simonne Monet-Chartrand : un héritage et des projets, Montréal, Fides/Éditions du remue-ménage, 1993, p. 7. [retour]
- Monique Roy, « Ma vie comme rivière : après 40 ans d’action sociale, Simonne Chartrand se raconte », Perspectives, semaine du 18 avril 1981, vol. 23, n° 16, p. 10. [retour]
- Bibliothèque et Archives Canada, « Éditions du remue-ménage », 2 octobre 2000, dans Bibliothèque et Archives Canada, Femmes à l’honneur, leurs réalisations, < http://www.collectionscanada.gc.ca/femmes/03000 l-1209-f.html > (page consultée le 28 avril 2012). Cité dans Nathalie Rheault, Une vie en papier-collé : polyphonie et effets du collage-montage dans le récit autobiographique Ma vie comme rivière de Simonne Monet-Chartrand, Mémoire,Université du Québec à Trois-Rivières, avril 2014, 127 p. [retour]
- Cécile Gladel, Les 10 meilleurs coups des Éditions du remue-ménage, Radio-Canada, 8 mars 2018. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 1, 1919-1942, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1981, 285 p.; Id., Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 2, 1939-1949, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1982, 353 p.; Id., Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 3, 1949-1963, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1988, 341 p.; Id., Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 4, 1963-1992, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1992, 373 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, en collaboration avec Diane Cailhier et Alain Chartrand, Pionnières québécoises et regroupements de femmes d’hier à aujourd’hui, tome l, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1990, 470 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, en collaboration avec Carmen Villemaire, L’espoir et le défi de la paix, Montréal, Guérin littérature, 1988, 202 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, en collaboration avec Diane Cailhier et Alain Chartrand, Les Québécoises et le mouvement pacifiste, 1939-1967, Montréal, Écosociété, 1993, 159 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, en collaboration avec Diane Cailhier et Alain Chartrand, Pionnières québécoises et regroupements de femmes, 1970-1990, tome 2, Montréal, Éditions du remue-ménage, 1994, 367 p. [retour]
- Simonne Monet-Chartrand, Ma vie comme rivière : récit autobiographique, tome 1, 1919-1942, op. cit., [p. 5]. [retour]
- Cégep Garneau, Le campus. 2023. < https://www.cegepgarneau.ca/cegep/campus > (Page consultée le 3 octobre 2023) [retour]
- Maison Simonne Monet-Chartrand, À propos de nous. < https://www.maisonsmc.org/fr/a-propos-de-nous > (Page consultée le 3 octobre 2023) [retour]
- Cégep Marie-Victorin. Mission, 2019. < https://www.collegemv.qc.ca/bibliotheque/mission > (Page consultée le 3 octobre 2023) [retour]
- Hélène Chartrand Deslauriers, « Hommage à Simonne Monet-Chartrand ». L’Aut’Journal, 6 septembre 2023. [retour]