L’invalidation de l’arrêt Roe c. Wade (1973) par la Cour suprême des États-Unis le 24 juin 2022 a provoqué une onde de choc aux États-Unis. Cette décision a également suscité de nombreuses réactions à travers le monde, y compris au Canada, où l’avortement est décriminalisé depuis la décision R. c. Morgentaler rendue en 1988 par la Cour suprême. Les enjeux de ce débat sont multiples, comme en témoignent l’histoire de la lutte pour le droit à l’avortement au Québec et les questions soulevées dans l’opinion publique. Pour comprendre les acquis et les fragilités sur les plans légal, social et en ce qui concerne l’accès aux soins de santé, le Service de la recherche de la Bibliothèque vous propose cinq lectures sur l’histoire de l’avortement au Québec.

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Michèle Rioux
Service de la recherche
LES CINQ LECTURES POUR COMPRENDRE
- Margaret Burnett, M.D., L’histoire de la santé génésique des femmes au Canada, Journal des obstétriciens et des gynécologues du Canada, vol. 41, supplément 2, 2019, p. S296-S298.
Ce texte brosse un portrait de l’histoire de l’avortement au Canada en soulignant l’apport de la Société d’obstétrique et de gynécologie du Canada (SOGC) dans l’histoire de la santé génésique des femmes. L’autrice, professeure à la Faculté de médecine Max Rady de l’Université du Manitoba, rappelle les moments clefs qui ont permis sa décriminalisation de l’avortement depuis l’entrée en vigueur de la disposition du Code criminel en 1892. Ce n’est qu’en 1969 que le Parlement fédéral adopte un projet de loi modifiant le Code criminel afin de permettre uniquement les avortements thérapeutiques dans les hôpitaux, à certaines conditions, notamment que l’état de santé de la mère l’exige.
Quelques années plus tard, le comité Badgley est formé à la demande du gouvernement fédéral afin d’examiner les dispositions législatives en matière d’avortement. Dans son rapport sur l’application de la Loi sur l’avortement déposé en 1977, le comité conclut que les délais de plus de huit semaines entre la première consultation médicale et l’avortement mettent en péril l’accès aux services. Le 28 janvier 1988, après des années de démêlées judiciaires et d’actes de violence devant des cliniques ou à l’endroit de médecins qui le pratiquent, la Cour suprême invalide les dispositions législatives sur l’avortement par l’arrêt Morgentaler.
Le projet de loi C-43 adopté par la Chambre des communes en 1990 tente de recriminaliser l’avortement, mais il est défait de justesse au Sénat en 1991. Outre ces moments déterminants sur l’évolution des droits reproductifs au Canada, l’article aborde les principes directeurs mis de l’avant et les actions que la SOGC déploie depuis 75 ans pour améliorer l’accès à la contraception et à l’avortement. Elle déplore toutefois l’accès inéquitable aux spécialistes à travers le pays. En outre, bien que le Mifegymiso, ou pilule abortive, n’ait été homologué qu’en 2015 par Santé Canada, la SOGC souligne favoriser son utilisation pour l’avortement médicamenteux depuis plus de 20 ans.
- Louise Desmarais, La bataille de l’avortement : chronique québécoise, Éditions du remue-ménage, Montréal, 2016, 547 p.
Militante pour le droit à l’avortement, l’autrice de cet essai relate les principaux combats menés par les groupes de femmes et les mouvements sociaux pour l’obtention du droit à l’avortement et à des services qui s’y rattachent dans un contexte social et politique plus large. Du « règne des broches à tricoter » (1869-1969) aux revendications des groupes de femmes à disposer de leur corps et à s’autodéterminer (1970-2010), elle présente le contexte historique et politique des événements qui ont mené à la légalisation de l’avortement au Québec et au Canada. Au-delà de la légalisation de l’avortement thérapeutique dans le Code criminel en 1969, la lutte pour le droit à l’avortement libre et gratuit commence en mai 1970 avec la tenue d’importantes manifestations à Ottawa et à Montréal.
L’autrice relate, dans un ordre chronologique, les actions des groupes féministes pour la reconnaissance du droit des femmes à se faire avorter, à ne pas confondre avec le droit des médecins à pratiquer des avortements. Outre la décriminalisation de l’avortement par l’arrêt Morgentaler en 1988, l’ouvrage répertorie les actions des multiples groupes pour garantir l’accès à des soins et des services gratuits pour les interruptions volontaires de grossesse (IVG). En conclusion, elle souligne des inégalités de services entre les régions et la fragilité des acquis sur le plan juridique. L’ouvrage répertorie ainsi plus de 30 projets de loi antiavortement depuis sa décriminalisation en 1988.
- Véronique Pronovost, Droit à l’avortement : la contre-attaque des anti-choix en Amérique du Nord, L’État du Québec, Montréal, Fides, 2020, p. 162-170.
Dans la foulée de la remise en question de l’arrêt Roe c. Wade et de l’adoption de lois chez nos voisins du sud qui limitent l’accès au libre-choix, cet article examine si le droit à l’avortement est en danger au Québec à l’une des débats qui ont eu cours en 2019.
Depuis 1973, de nombreux États américains ont adopté pas moins de 1200 lois qui compliquent l’accès à des services abortifs. Plus particulièrement, les lois de 19 États remettaient déjà en question en 2019 l’arrêt Roe c. Wade, bien avant son invalidation en 2022. L’intérêt médiatique suscité par cette question a aussi occupé l’espace public québécois et canadien. L’autrice considère comme peu probable cette remise en question directe du droit à l’avortement au Québec et au Canada en raison de sa décriminalisation par l’arrêt Morgentaler en 1988 et de l’abondante jurisprudence canadienne sur le sujet, malgré les forces politiques et idéologiques en présence. Toutefois, elle signale que la présence d’anti-choix au sein d’institutions canadiennes a pour effet de limiter l’accès aux services d’interruption de grossesse dans plusieurs provinces canadiennes. Selon ses recherches, les groupes anti-choix au Québec se mobilisent en dehors des institutions formelles, au sein d’organismes qui tentent d’influencer les femmes vivant une grossesse imprévue.
En résumé, leur rhétorique basée sur le discours états-unien vise à humaniser le fœtus et à culpabiliser les femmes qui optent pour un avortement. De plus, ce texte répertorie les conséquences des mythes et des préjugés véhiculés à l’égard des femmes – remise en cause de leur jugement, irresponsabilité, infantilisation –, qui peuvent entraîner des risques de dérive dans l’opinion publique et légitimer la réouverture de ce débat à l’ère des médias sociaux et des « fausses nouvelles ».
- Lucie Lemonde, Les menaces au droit à l’avortement et à l’autonomie des femmes enceintes, Les cahiers de droit, vol. 50, nos 3-4, 2009, p. 611–635.
Vingt ans après l’arrêt Morgentaler, l’article examine quatre projets de loi d’intérêt privé présentés lors de la 39e législature du Canada (2006-2008) sur des questions relatives à l’avortement pour la reconnaissance des droits du fœtus, cheval de bataille des militants antiavortement.
L’autrice remet en question le recours à une législation préventive et punitive à l’égard des femmes qui, par exemple, souhaitent un avortement tardif. Elle soutient qu’il s’agit d’un faux débat puisque la proportion de femmes qui y a recours est très faible au Canada. De ces quatre projets de loi privés sur la criminalisation de l’interruption volontaire de grossesse, l’autrice analyse de façon détaillée le projet de loi C-484 intitulé Loi sur les enfants non encore nés victimes d’actes criminels ou l’homicide fœtal. Elle compare la situation du Canada à celle des États-Unis où le gouvernement fédéral et 36 États ont adopté, dès le début des années 2000, des lois qui érigent en infraction des interventions qu’ils qualifient « d’homicide fœtal » dans certaines situations. Pour l’autrice, le recours à la criminalisation de l’avortement détourne le système pénal de son but en offrant à un groupe un instrument de contrôle social au détriment de la diversité sociale. De plus, la criminalisation d’actes à caractère moral basée sur un moralisme répressif notamment en matière de sexualité n’a plus sa raison d’être dans un régime de droits et libertés.
L’article conclut que l’intérêt de l’État à protéger l’intégrité du fœtus consiste à protéger les femmes enceintes. Cela se traduit par des services de santé pour celles qui poursuivent leur grossesse ou par l’accès rapide aux services de santé d’avortement pour celles qui le choisissent.
- Marie-Laurence Raby, Avortements illégaux et mobilisation politique au début des années 1970, Cap-aux-Diamants, no 145, 2021, p. 22-26.
L’autrice, par ailleurs doctorante en histoire à l’Université Laval, aborde la question de la mobilisation politique des groupes de femmes dans les années 1970 pour la légalisation de l’avortement et un meilleur accès aux services. Elle retrace l’émergence de plusieurs groupes féministes créés pour défendre de tels enjeux notamment le Front commun pour l’abrogation des lois sur l’avortement (1971-1974) ou le Comité de lutte pour l’avortement libre et gratuit (1974-1978). Elle souligne aussi l’implication d’organismes avec des mandats plus larges, dont le Centre des femmes de Montréal, la Fédération québécoise pour la planification des naissances et le Front de libération des femmes du Québec. Ce mouvement de mobilisation débute avec la décriminalisation de l’avortement en 1969. Les avortements thérapeutiques sont alors permis, mais leur pratique au Québec s’avérait limitée en nombre par rapport à la situation au Canada. Les revendications des groupes de femmes portent alors sur l’élargissement des critères qui permettent un avortement et sur le droit des femmes de choisir de mener ou non une grossesse.
Pour répondre à ce manque d’accès en raison de critères limitatifs, l’autrice relate comment les groupes féministes et des organismes comme le Women’s Liberation movement et le Centre des femmes de Montréal ont développé des réseaux d’avortement clandestin pour répondre aux besoins des femmes dans les années 1970. Le Centre des femmes crée un centre de référence. Ce dernier agit à titre d’intermédiaire entre les médecins et les femmes jusqu’au milieu de cette décennie, alors que l’acquittement du docteur Morgentaler en 1976 rend plus facile la pratique des avortements en dehors des hôpitaux. À ce moment, les centres de santé réorientent leurs actions pour offrir des services d’avortement en toute illégalité.
ET CINQ AUTRES PISTES (POUR ALLER PLUS LOIN)
- Conseil du statut de la femme, Le droit à l’avortement : 25 ans de reconnaissance officielle, Gouvernement du Québec, 2013, 24 p.
- [Balado] La lutte pour le droit à l’avortement, une des batailles importantes du féminisme – L’histoire de l’avortement au Québec et aux États-Unis, avec Louise Desmarais, Aujourd’hui l’histoire, Radio-Canada Ohdio, 9 mai 2022 (durée : 23 minutes).
- Sylvie Lévesque et Audrey Gonin, L’accès à l’avortement : un enjeu important pour l’égalité de genre au Québec, Rapport de recherche, Réseau québécois en études féministes, UQAM, 2022, 23 p.
- Ève-Lyne Couturier, Avorter au Québec,Montréal, Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (Blogue), 7 juillet 2022.
- Droit à l’avortement : dans quels pays est-il restreint ou menacé?, Le Monde, 24 juin 2022.