Derrière le cadre de la porte de la Salle des drapeaux[1] se trouvent deux panneaux de noyer noir décorés d’arabesques dorées. Sachant que cette porte a été installée au début du XXe siècle, une question se pose : cette structure masque-t-elle d’autres armoiries? Eh bien oui! Nous dévoilons ici les noms des deux personnages qui s’y trouvent cachés.
Christian Blais
Historien, Service de la recherche
La clé de cette découverte se trouve dans l’ouvrage Le Palais législatif de Québec, publié en 1897[2]. Son auteur, Ernest Gagnon, est secrétaire de plusieurs ministres des Travaux publics de 1876 à 1905. Ce « département » est alors responsable de la construction et de l’entretien de l’hôtel du Parlement[3].
Musicien et compositeur de renom, Gagnon compte aussi dans son cercle d’amis le sculpteur Louis-Philippe Hébert, l’historien Thomas Chapais et le peintre Charles Huot. Tous sont des contemporains d’Eugène-Étienne Taché, le concepteur de l’hôtel du Parlement. On peut croire que ces illustres personnages, qui ont contribué de près ou de loin à l’ornementation du parlement de Québec, ont certainement partagé quelques informations avec Gagnon.

Photo : Claude Mathieu
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Un chapitre est consacré aux « décorations intérieures » du parlement. Il fait une description des lambris d’appui en noyer noir des vestibules du rez-de-chaussée, du premier et du deuxième étages du Palais législatif. Après avoir dressé la liste des personnages de la Nouvelle-France qui se trouvent dans le hall principal, Gagnon passe à l’étage supérieur. « Le visiteur a gravi un escalier et l’histoire a marché d’un siècle. »
Il enchaîne:
Avec un art consommé, les arabesques aux lignes d’or glissent sur les panneaux des rampes et des paliers, et atteignent le premier, puis le deuxième étage, multipliant leurs dessins variés et gracieux et entourant les blasons de personnages appartenant, pour la plupart, à une époque plus récente : Saint-Vallier, Pontbriand, Beauharnois, La Galissonnière, La Jonquière, Longueuil, Coulon de Villiers, Ramezay, Townshend, Amherst, Quesnel, Vallières, Sewell, Stuart, Panet, Baby, Taschereau, Bédard, De Léry, Lotbinière, Parent, Nelson, Lanaudière, Boucherville, Viger, Cuvillier, Saint-Ours, Bourdages, Plessis, Mountain, Blanchet, Laforce, Lartigue, Bourget, Rollette, Dambourges, Duchesnay, De Gaspé, etc.
Eurêka! Voilà ce que je me dis en relisant ce passage : « Bourdages, Plessis, Mountain, Blanchet, Laforce, Lartigue, Bourget ». Puisque cet ordonnancement est celui des boiseries jouxtant l’actuelle la Salle des drapeaux, il m’apparaît que deux personnages de cette liste ne sont plus là aujourd’hui. Pas de doute! Joseph-Octave Plessis et Jacob Mountain ont été, si je peux m’exprimer ainsi, victimes d’emportiérage…

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Taché avait donc fait graver les noms et les armoiries de ces deux hommes en vis-à-vis. Tous deux siégeaient Conseil législatif du Bas-Canada. Le premier était évêque du diocèse catholique de Québec et le second, évêque du diocèse anglican de Québec.
Il aurait été fort utile de faire cette découverte plus tôt. Car en 2017, l’Assemblée nationale décidait de faire graver les noms de quatre personnages de part et d’autre de la porte de la Salle des drapeaux : William Grant, Augustin-Norbert Morin, Thomas Dunn et… Plessis[4]. Si j’avais su… Mountain aurait pu prendre la place de Dunn auprès de Plessis; d’autant que les deux hommes entretenaient, dit-on, des rapports « non d’intimité, mais d’honnêteté réciproque[5] ».
Ce qui est fait est fait. Certes, l’évêque anglican n’est pas un personnage sympathique au premier abord. À titre de conseiller exécutif proche des bureaucrates de la colonie, il est connu comme l’un des principaux chantres de l’« anglification » des Canadiens. Soit. Taché a malgré tout fait inscrire son nom dans son œuvre maîtresse et, pour cette raison, Mountain mériterait d’y retrouver une place[6].
Quelle est donc cette plante?
Eh non! Ce n’est pas du papyrus. Associé au pouvoir de la Basse-Égypte antique, le papyrus est également le symbole de la vie et de la perpétuation de la connaissance, puisqu’avec cette plante on fabriquait des feuilles sur lesquelles on pouvait écrire et dessiner. Dans son ouvrage, Ernest Gagnon fait une description des gravures sur les portes d’accès aux deux Chambres : « Le millésime “1792,” date de la mise en force de la constitution inaugurant le régime parlementaire en Canada, et le millésime “1867,” date de l’établissement de la Confédération, sont incrustés sur les battants des grandes portes […] au milieu de palmes d’une suprême élégance. » Un autre document daté du 23 octobre 1913 confirme qu’il s’agit de feuilles de palmier. Dans les archives du département des Travaux publics, une lettre concerne la décoration de la salle de l’Assemblée. La compagnie Gauthier & Frère et l’architecte en chef des Travaux publics Elzéar Charest sont alors chargés de peindre et de dorer le « cadre du tableau et palmes de la galerie de la même salle. » La palme est un symbole lié au sacrifice, à la vitalité et à la victoire[7]. Ayant un caractère sacré en Égypte, il ornait souvent les temples. Qui sait? Le sacrifice fait peut-être écho à la constitution de 1840, qui n’est évoquée nulle part dans l’hôtel du Parlement. Quant à la vitalité et la victoire, elles pourraient être symbolisées par les constitutions de 1792 et 1867, qui garantissent au Québec un parlement élu et la base de ses frontières actuelles. Vignette sous la photographie « Palmarès », du latin palmaris, veut dire « qui mérite la palme ». Ce mot se définit comme étant la « liste des lauréats d’une distribution de prix ». Symbole de victoire, la Palme d’or est d’ailleurs la récompense suprême décernée au meilleur film de la sélection officielle au Festival de Cannes.



Photos : Claude Mathieu
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- Cet article a également fait l’objet d’une publication dans le Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, vol. 48, no 1, 2019-2020, p. 10-12.
- Voir « Salle des drapeaux », Encyclopédie du parlementarisme québécois (en ligne), Assemblée nationale du Québec, 11 décembre 2014. [retour]
- Ernest Gagnon, Le Palais législatif de Québec, Québec, C. Darveau, 1897, 135 p. [retour]
- Gordon E. Smith, « Gagnon, Ernest », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003. [retour]
- Voir Christian Blais, « De nouvelles gravures sur les boiseries de l’hôtel du Parlement », Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, vol. 47, n° 1, p. 35-38. [retour]
- Thomas R. Millman, « Mountain, Jacob », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 6, Université Laval/University of Toronto, 2003. [retour]
- Si on ajoutait Mountain dans la Salle des drapeaux, il se trouverait en compagnie de deux hommes d’Église (Lartigue et Bourget) et de deux prisonniers politiques de 1810 (Blanchet et Laforce). Pour équilibrer le tout – parce que toutes les gravures ont un vis-à-vis , je propose que trois hommes d’Église soient en compagnie de trois prisonniers politiques de 1810. Il reste à faire un choix entre Pierre Papineau, Louis Truto, François Corbeil et Michel Contant, accusés de trahison et emprisonnés par le gouverneur James Graig (avec l’appui tacite de Mountain). Puisque Corbeil meurt des suites d’une maladie contractée en raison de ses mauvaises conditions d’incarcération, en le commémorant, cela remettrait Mountain face à ses vieux péchés pour une autre éternité. [retour]
- La palme est également associée au sacrifice dans l’hôtel du Parlement, comme en témoigne cet autre passage rédigé par Gagnon : « Au fond du plus haut palier de l’escalier d’honneur, au milieu de palmes abondantes incrustées en or sur les panneaux des lambris, brillent le monogramme de la Compagnie de Jésus et les noms de quelques-uns des missionnaires jésuites qui ont arrosé de leur sang et fécondé par leur martyre la terre désormais chrétienne du Canada et de l’Amérique du Nord : Jogues, Lalemant, Rasle, Buteux, Garnier. » Ajoutons que l’on retrouve, gravé dans les boiseries du Salon bleu, des branches de palmier porteur de dattes. Arbre nourricier en Égypte – symbole de la vie –, il réfère à la luxuriance féconde de l’oasis au milieu du désert. Nanon Gardin et al., Le Petit Larousse des symboles, Paris, Larousse, c2006, p. 473. [retour]