La plume et le verbe, ces parlementaires qui écrivent

Orateurs aguerris, les député(e)s de l’Assemblée nationale font vibrer l’enceinte du Salon bleu depuis plus de cent ans par l’éloquence de leurs discours et de leur parole. L’exposition La plume et le verbe, ces parlementaires qui écrivent présentée depuis le 15 septembre 2020 à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, fait pour sa part résonner la voix des parlementaires sous un éclairage différent : celui, plus personnel et moins partisan, de l’écriture. L’exposition présente une sélection d’ouvrages écrits par des parlementaires depuis 1867, en marge de leurs fonctions.

Alexandre Laflamme
Service de l’information

Au cours des dernières années, un diaporama de livres récents écrits par des parlementaires a été projeté au Salon du livre de Québec. Il a reçu un accueil enthousiaste du public. Cette réponse a permis de saisir tout le potentiel d’une exposition approfondissant le sujet. C’est sur ces prémisses que s’est élaborée l’exposition.

ORGANISATION DE L’EXPOSITION : DÉCOUVERTES ET RENCONTRES

Un imposant travail dans les archives et les collections de la Bibliothèque a été réalisé en collaboration étroite avec huit député(e)s en fonction. La conception et l’organisation de l’exposition La plume et le verbe… fut une occasion unique de tisser des liens entre le passé et le présent, le politique et le littéraire. La sélection des œuvres parmi plusieurs centaines d’ouvrages qui s’échelonnent sur plus de 150 ans, est le résultat d’un rigoureux processus basé sur plusieurs critères : chronologiques, politiques, esthétiques, etc. Compte tenu de l’espace restreint, des choix déchirants ont été faits pour le volet physique de l’exposition. Le volet virtuel, pour sa part, permet au visiteur de découvrir l’entièreté des ouvrages sélectionnés.

Fruit d’une collaboration avec le secteur « Création de contenu multiplateforme » du Centre d’expertise numérique de l’Assemblée nationale, des entrevues avec les huit parlementaires associé(e)s à la conception de l’exposition ont été réalisées au cours de l’hiver 2020. Les entrevues ont été tournées dans l’agora du nouveau pavillon d’accueil. Au cours de ces entrevues d’un peu moins de dix minutes, les député(e)s ont eu l’occasion d’aborder, entre autres, l’histoire et la démarche derrière leur livre ainsi que le rapport qu’ils entretiennent avec l’écriture en tant que parlementaires. De belles anecdotes et de véritables moments d’émotion ponctuent ces rencontres uniques, où les parlementaires se dévoilent sous un visage inédit. Ces entrevues sont accessibles pour visionnement sur place ou dans l’exposition en ligne. Elles ajoutent une dimension visuelle et dynamique au contenu déjà riche de l’exposition.

VITRINE I : POÉSIE, ROMAN ET THÉÂTRE À L’HONNEUR

La première section de l’exposition est consacrée à la poésie, au roman et au théâtre, ce qui en fait probablement la section la plus étonnante de l’ensemble. La diversité des œuvres présentées y est en effet remarquable. Aux quatre vents, pièce de théâtre écrite pour la radio par René Lévesque alors qu’il avait 21 ou 22 ans, en est un bel exemple. Le manuscrit de la pièce a été découvert en 1996. Elle a été jouée pour la première fois au Théâtre du Nouveau Monde en novembre 1999. Autres exemples de l’originalité des écrits littéraires des parlementaires, mentionnons le roman Nanatasis de Robert Dutil, le recueil Fleuve compagnon d’André Gaulin ou la série de romans jeunesse Francis de Jean-François Roberge.

Soulignons aussi la présence de l’ouvrage d’un grand bienfaiteur de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale au XIXe siècle, le recueil de contes et récits À la brunante de Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice. Bibliophile, Faucher de Saint-Maurice achetait plusieurs livres à l’étranger, notamment lors de ses voyages aux États-Unis. Après les avoir lus, il les offrait à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale afin que celle-ci puisse regarnir sa collection, grandement éprouvée par l’incendie de 1854 où plus de la moitié des volumes (17 000) ont été détruits.

Une vitrine entière aurait pu être consacrée à l’œuvre de Gérald Godin, député de Mercier de 1976 à 1994 et l’un des poètes québécois les plus importants de la seconde moitié du XXe siècle. Parmi les nombreuses pièces présentées dans l’exposition, soulignons la présence de la première édition de son premier recueil, Chansons très naïves, agrémenté d’une mystérieuse page couverture, œuvre de l’artiste Jordi Bonet.

Enfin, le visiteur aura aussi la chance de découvrir deux ouvrages de parlementaires de la 42e législature, soit 24 heures dans la vie d’une nuit, recueil de poésie de Frantz Benjamin et Ce qui se passe dehors, roman jeunesse de Catherine Dorion. Pour accompagner ce roman, la députée de Taschereau nous a prêté son carré rouge, symbole du militantisme étudiant lors des grèves étudiantes du printemps érable de 2012.

VITRINE II ET III : PLACE AUX ESSAIS

Le genre essayistique est à l’honneur dans les vitrines II et III de l’exposition. Le visiteur y découvrira de nombreux essais d’époque et de thématiques différentes. Politique, sociologie, linguistique, histoire, relations de travail, droit, relations internationales, etc. : la diversité des sujets met en évidence les intérêts variés et les divers champs d’expertise des parlementaires écrivains. Parmi cette variété d’ouvrages, le visiteur remarquera certains enjeux qui ont été et qui restent aujourd’hui l’objet de préoccupations pour les femmes et les hommes politiques du Québec. La question de l’éducation, par exemple, est abordée dans plusieurs ouvrages de l’exposition. Une lecture comparée de L’instruction publique au Canada (Pierre-Joseph Olivier Chauveau, 1876) avec Et si on réinventait l’école (Jean-François Roberge, 2016) ou Un Québec libre est un Québec qui sait lire ou écrire (Sébastien Proulx, 2018) offrirait sûrement un aperçu intéressant des différentes perspectives en matière d’éducation au Québec depuis le XIXe siècle.

La question de l’autonomie et de l’affirmation du Québec a, elle aussi, été largement abordée par les parlementaires essayistes lors de la deuxième moitié du XXe siècle. Que ce soit sous l’angle politique, linguistique ou énergétique, la troisième vitrine de l’exposition en fait état avec un tiroir entièrement réservé à ces ouvrages. Le visiteur y découvre quatre essais qui ont aussi en commun d’avoir été écrits par d’anciens premiers ministres du Québec : Égalité ou indépendance (1965) de Daniel Johnson, Option Québec (1968) de René Lévesque, L’énergie du Nord de Robert Bourassa (1985) et La cause du Québec de Bernard Landry (2002).

De la seconde vitrine de l’exposition, le visiteur aura aussi l’occasion de voir deux ouvrages s’intéressant à la lutte contre le crime organisé au Québec : La filière canadienne de Jean-Pierre Charbonneau et Mom, de Guy Ouellette.  L’essai de Charbonneau, véritable enquête au cœur de l’histoire de la mafia canadienne publiée en 1975, est accompagné de son manuscrit. Annotée par l’auteur et l’éditeur, ratures et écritures dans les marges, cette pièce unique a été prêtée par le service des archives de l’Assemblée nationale, où réside le fonds d’archives de l’ancien président de l’Assemblée nationale. Publié en 2005, l’essai Mom de Guy Ouellette s’intéresse plus particulièrement aux bandes de motards criminalisées Dans le cas de ces deux ouvrages, un énorme travail de recherche a été effectué afin de s’assurer de la véracité des informations. À l’occasion de l’exposition, Guy Ouellette a accepté de partager les nombreuses images et photographies de son livre. Elles sont publiées dans le volet virtuel de l’exposition.

Un autre essai présenté dans l’exposition entretient une relation particulière avec la Bibliothèque de l’Assemblée nationale : Montmorency : histoire d’une communauté ouvrière, publié en 2001 par Jean-François Simard. L’auteur relate l’histoire de cette communauté, dont le destin a été lié à celui des industries textiles de la fin du XXe siècle. Lors de son entrevue, l’actuel député de Montmorency a souligné que c’est Gaston Deschênes, historien reconnu ayant longtemps travaillé au Service de la recherche de la Bibliothèque, qui l’a à l’époque poussé à se lancer dans la rédaction d’une thèse de doctorat. Vingt ans plus tard, la présentation de cet essai en vitrine à la Bibliothèque, accompagné de pièces d’archives personnelles liées à sa rédaction, vient en quelque sorte boucler la boucle. 

VITRINE IV : BIOGRAPHIE ET MÉMOIRE

La dernière vitrine de l’exposition s’intéresse aux parlementaires qui ont choisi de livrer par écrit le récit de leur vie ou, à tout le moins, d’un chapitre de celle-ci. Si la majorité souhaite raconter les hauts et les bas de leur carrière, certains ont plutôt utilisé leur plume afin de raconter celle d’autres femmes ou hommes politiques. C’est notamment le cas de Pierre Duchesne qui, avant de devenir lui-même député et ministre, a publié une importante biographie en trois tomes de Jacques Parizeau. Cette section rassemble des œuvres dont le contenu est davantage lié à la vie personnelle des parlementaires, dans lesquelles s’entrecroisent faits historiques, souvenirs et moments forts en émotions. C’est le cas, par exemple, du livre de François Paradis Ma job ou ma vie, où l’actuel président de l’Assemblée nationale relate son combat contre le cancer. Dans le cadre de l’exposition, le député de Lévis a accepté de nous prêter une toile de l’artiste-peintre Kathie Robitaille. Cette toile reproduit plusieurs extraits du livre sous forme de collage afin d’en exprimer les grands thèmes. Elle est exposée à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale.

L’émotion résonne aussi à travers les pages d’Ici Christine St-Pierre : de l’école de rang au rang de ministre, une autobiographie parue à l’automne 2020 où la députée de l’Acadie présente 34 histoires de vie s’échelonnant de son enfance jusqu’à la fin de son mandat de ministre. Dans son entrevue, touchante et inspirante, madame St-Pierre a révélé que la publication de ce livre s’inscrivait dans un processus de deuil. Elle souhaite aussi que son histoire soit une source d’inspiration pour de jeunes femmes désirant se lancer en politique. Christine St‑Pierre n’est d’ailleurs qu’une des nombreuses femmes parlementaires mises de l’avant dans la vitrine des biographies et mémoires. De Marguerite Blais en passant par Pauline Marois ou Manon Massé, les autobiographies de ces femmes politiques relatent de façon éloquente la complexité et la richesse de leur parcours.

UNE EXPOSITION OUVERTE À TOUS, EN LIGNE ET (BIENTÔT) SUR PLACE

Dans le contexte exceptionnel actuel, où la pandémie de la COVID-19 interdit l’accès au volet physique de l’exposition, la quantité et la qualité du contenu virtuel prennent une dimension particulièrement importante. Le volet virtuel de La plume et verbe, ces parlementaires qui écrivent offre donc du contenu exclusif et dynamique accessible de la maison. Par exemple, chacune des entrevues avec les huit parlementaires de la législature actuelle y est disponible dans son intégralité. Au cours de ces entrevues, l’auditeur découvrira les parlementaires sous un jour méconnu, soit celui d’écrivains investis et ayant développé une affection profonde pour leurs œuvres respectives. En ce qui concerne l’exposition sur place, des fauteuils et un téléviseur ont été installés dans l’espace Chauveau de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale. Confortablement assis, les visiteurs pourront, à la suite de leur visite, visionner les différentes entrevues et capsules vidéo de l’exposition. Il ne reste qu’à souhaiter qu’il soit possible de les accueillir dans les prochains mois, afin de partager avec eux ces histoires plus fascinantes les unes que les autres.