Formées de plus de 2,3 millions de documents et d’objets patrimoniaux, les collections de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec sont vastes et diversifiées. Bien que son expertise se situe d’abord dans les domaines du parlementarisme et des sciences juridico-politiques, la Bibliothèque comprend une importante collection de littérature québécoise qui regroupe près de 500 ouvrages publiés aux XIXe, XXe et XXIe siècles. Chaque année, cette collection s’accroît grâce à une sélection judicieuse d’œuvres littéraires significatives et actuelles. Ce faisant, la Bibliothèque souhaite non seulement offrir à sa clientèle une diversité de choix en matière de lecture, mais elle veut aussi léguer aux générations futures un héritage culturel et un portrait général des œuvres littéraires de notre époque[1].
Carolyne Ménard
Service de la référence
La collection de littérature de la Bibliothèque recèle des trésors récents et anciens à découvrir, et inclut notamment des recueils de poésie d’auteurs et d’autrices québécois(e)s. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, les femmes écrivaines sont longtemps demeurées marginalisées et peu représentées dans les corpus littéraires enseignés et publicisés[2]. La Journée internationale des droits des femmes, soulignée annuellement le 8 mars, offre l’occasion de découvrir – ou de redécouvrir – des œuvres littéraires créées par des femmes. Dans cette optique, la Bibliothèque vous présente trois acquisitions récentes d’œuvres poétiques qui mettent en valeur l’écriture des femmes.
Lorrie Jean-Louis. La femme cent couleurs. Mémoire d’encrier, 2020.

Finaliste au Prix des libraires 2021 dans la catégorie poésie, La femme cent couleurs est le premier livre de Lorrie Jean-Louis. Née à Montréal et formée en bibliothéconomie et en littérature, l’autrice aborde dans ce recueil les thèmes de l’identité, de la mémoire et des origines à travers une narration forte qui revendique le droit d’exister et d’être en tant que femme noire. Par sa poésie, l’autrice souhaite donner une voix aux femmes marginalisées qui tentent de trouver leur place dans ce monde:
« Toi
dans cet interstice
cette marge irrévérencieuse
d’aujourd’hui et d’hier
tu essaies d’exister
tu nommes les choses autrement
tu appelles fracas
te tenir debout
tu appelles résilience
vivre[3]»
Chez cette autrice pour qui « écrire est une aventure », le processus d’écriture se veut lent et minimaliste; l’inconnu est un guide qui permet à l’inspiration de se révéler de manière graduelle[4]. Courts et sobres, ses poèmes forment un ensemble maîtrisé dont la forme conviendra à toute personne souhaitant s’initier à la lecture de la poésie.
Marie-Andrée Gill. Chauffer le dehors. La Peuplade, 2019.

Lauréate du Prix du Conseil des arts et des lettres du Québec – Saguenay-Lac-Saint-Jean, Marie-Andrée Gill est originaire de Mashteuiatsh. Poète innue, elle publie avec Chauffer le dehors son troisième recueil de poésie aux éditions la Peuplade, maison d’édition située à Saguenay.
Dans Chauffer le dehors, Marie-Andrée Gill aborde le sujet universel de la rupture amoureuse. La complexité des relations humaines est au cœur de ses réflexions, et l’écrivaine se questionne notamment sur le sentiment de vide qui habite l’être humain lors d’une séparation. Il s’agit certes d’un sujet douloureux, mais l’autrice réussit à l’évoquer à travers le prisme de la beauté par sa prose imagée.
La nature est omniprésente dans ce recueil, agissant à la fois comme un remède et une inspiration pour l’autrice. Le paysage décrit ici est marqué par la proximité du fjord, l’hiver enneigé et la densité de la forêt. Il répare et réconforte. L’immensité du territoire et la vastitude de l’hiver offrent un espoir de continuité et de renouveau pour la narratrice. À l’instar de la nature, la rupture amoureuse est « un lot de fins du monde et de recommencements[5]».
Comme chez Lorrie Jean-Louis, les poèmes de Gill sont concis et accessibles, et privilégient un registre de langue simple qui s’apparente au parler courant. L’écriture de l’autrice fait ressortir avec beaucoup de sensibilité l’émotion qui l’habite, de manière à la fois fluide et percutante :
« Je me demande où habiter, à quelle place poser ma tendresse à broil sinon dans la procuration que permet l’écriture en recréant l’expérience, en la fleurissant comme on organise sa mémoire pour la faire taire et vibrer en même temps. Où habiter sinon dans le rappel de moments fous et la possibilité qu’ils se reproduisent?[6] »
Joséphine Bacon. Uiesh. Quelque part. Mémoire d’encrier, 2018.

Innue originaire de Pessamit, Joséphine Bacon est une sommité dans le domaine de la poésie autochtone québécoise. Son recueil Uiesh. Quelque part, lauréat du Prix des libraires 2019 dans la catégorie poésie, aborde entre autres les thèmes de l’identité innue, du respect des ancêtres et de la vieillesse.
Au cœur de l’œuvre de Joséphine Bacon se trouve l’évocation de l’immensité du territoire. Son écriture fait abondamment référence à l’espace, aux terres qui s’étendent à perte de vue jusqu’au-delà de l’horizon[7]. Uiesh. Quelque part ne fait pas exception à la règle. À l’instar de Chauffer le dehors, le territoire offre ici aussi un repos et un apaisement par son immuabilité et sa pérennité.
Qui plus est, cette poète accorde une grande importance aux ancêtres et à la préservation de la mémoire. Elle visite ses souvenirs d’enfance, tels que sa rencontre avec la ville, un lieu qui par son aspect sédentaire contraste avec le mode de vie semi-nomade qu’elle a connu durant les premières années de sa vie. L’autrice réfléchit également à l’acte de vieillir et à l’héritage qu’elle laissera à sa communauté, dans la lignée de ses ancêtres[8]. Sa plume laisse transparaître beaucoup d’humilité à l’égard de l’inévitabilité de la vieillesse :
« Je n’en veux pas à la vie
De vieillir
Je ne connais pas
L’heure de mon départ
Il y a des matins
J’ai la nostalgie des rêves
Que je n’ai pas rêvés[9] »
Les recueils de Joséphine Bacon se distinguent par leur écriture bilingue, chaque poème étant composé à la fois en innu-aimun et en français. L’autrice maîtrise toujours sa langue maternelle, l’écrit et l’enseigne également[10]. À l’image de La femme cent couleurs et de Chauffer le dehors, les vers de Uiesh. Quelque part sont limpides et réfèrent à des images précises, ce qui en fait un recueil idéal pour s’introduire au monde de la poésie.
Ces suggestions constituent trois acquisitions récentes de la Bibliothèque dans le domaine de la poésie des femmes, mais bien d’autres œuvres sont à explorer. À titre d’exemple, l’ouvrage Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours (2003) recense plus d’une centaine de femmes poètes québécoises à découvrir, de Marie de l’Incarnation à Tania Langlais, en passant par Anne Hébert, France Théoret, Pauline Julien, Élise Turcotte, Louky Bersianik et plusieurs autres[11]. Qui plus est, la parution d‘une Anthologie de la poésie actuelle des femmes au Québec 2000-2020 aux éditions du remue-ménage, prévue cette semaine, permettra certainement de découvrir de nouveaux noms. Voici quelques recueils supplémentaires de femmes poètes québécoises qui se retrouvent dans la collection de littérature de la Bibliothèque :
- Expo-habitat de Marie-Hélène Voyer (La Peuplade, 2018);
- Pensées pour jours ouvrables de Bureau Beige (Moult Éditions, 2017);
- Funambule de Pauline Michel (Broken Jaw Press, 2006);
- Speak white de Michèle Lalonde (L’Hexagone, 1974);
- La fille unique de Françoise Bujold (Éditions Goglin, 1958).





En ce 8 mars, la Bibliothèque vous souhaite de belles découvertes poétiques et d’explorer de nouveaux horizons littéraires avec l’écriture des femmes québécoises.
Bonnes lectures !
- Martin Pelletier. « La Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec : une institution patrimoniale accessible à tous », dans Claude Corbo (dir.), Bibliothèques québécoises remarquables. Montréal : Del Busso, 2017, p. 118. [retour]
- Julie Boulanger et Amélie Paquet. Le bal des absentes. Montréal : La Mèche, 2017, p. 21. [retour]
- Lorrie Jean-Louis. La femme cent couleurs. Montréal : Mémoire d’encrier, 2020, p. 41. [retour]
- Philippe Néméh-Nombré. « La couleur de l’eau : entretien avec Lorrie Jean-Louis », Spirale, 1er mai 2020. [retour]
- Jérémy Laniel. « Seul lieu de la résilience », Lettres québécoises, no. 173 (2019), p. 69. [retour]
- Marie-Andrée Gill. Chauffer le dehors. Saguenay : La Peuplade, 2019, p. 39. [retour]
- Denise Brassard. « Essayer d’être là », Voix et Images, vol. 44, no. 1 (automne 2018), p. 151-158. [retour]
- Françoise Siri. « Uiesh. Quelque part de Joséphine Bacon », La Croix, 6 juillet 2018. [retour]
- Joséphine Bacon. Uiesh. Quelque part. Montréal : Mémoire d’encrier, 2018, p. 92. [retour]
- Leclerc, Rachel. « Dans la peau du tambour », Lettres québécoises, no. 171 (2018), p. 60. [retour]
- Nicole Brossard et Lisette Girouard. Anthologie de la poésie des femmes au Québec des origines à nos jours. Montréal : Éditions du remue-ménage, 2003, p. 15. [retour]