Aline Cloutier : une caricaturiste méconnue de la Révolution tranquille

En 2010, les archives de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale du Québec accueillaient une collection de caricatures réalisées par Aline Cloutier, diplômée en art publicitaire de l’École des beaux-arts de Québec en 1951. Nous l’avons rencontrée. Voici l’histoire de l’une des rares femmes à avoir tenté sa chance dans le domaine de la caricature, mais dont la production est restée presque confidentielle jusqu’à aujourd’hui.

Pierre Skilling
Service de la recherche

La collection Aline Cloutier compte plus de 460 documents, surtout des caricatures et des esquisses, qui dépeignent des politiciens québécois et canadiens, des leaders mondiaux ainsi que des personnalités artistiques. Les documents sont datés de 1948 à 2010, mais la majorité des œuvres ont été réalisées entre 1950 et 1970.

Dès l’École des beaux-arts, Cloutier croque avec talent la figure de ses camarades de classe et se fait remarquer par ses professeurs. Elle se spécialisera donc dans la caricature. Après ses études, elle tente sa chance auprès de certains journaux et travaille brièvement comme dessinatrice publicitaire au quotidien Le Soleil de Québec. Ces dernières années, ses dessins ont été reproduits dans certaines publications (dont le Bulletin), lui offrant enfin une certaine reconnaissance tardive.

Les femmes et la caricature

Les femmes sont présentes dans tous les domaines des arts et de la création. Pourtant, comme le note l’auteure Mira Falardeau, bien peu se sont fait une place dans ce qu’elle appelle « l’humour visuel » (caricature, bande dessinée et cinéma d’animation), où elles ne représentent pas plus de 7 % des artistes[1].

Au Québec, aucune femme n’a eu un poste de caricaturiste éditoriale dans les journaux[2]. Au Canada, Sue Dewar semble être la seule à avoir occupé un poste de caricaturiste éditoriale dans un journal, à son entrée au Calgary Sun en 1984, puis au Ottawa Sun en 1988[3]. Le cas est rare même aux États-Unis. La journaliste et chercheuse Sheila Gibbons (citée par Falardeau) n’en signale que trois: Ann Telnaes au Washington Post, Signe Wilkinson au Philadelphia Daily News et Etta Hulme au Fort Worth Star Telegram[4]. C’est toutefois sans compter les dessinatrices indépendantes et pigistes, plus difficiles à dénombrer. Par ailleurs, la première femme à obtenir un poste de caricaturiste éditoriale aux États-Unis (et peut-être dans le monde) serait Edwina Dumm, en 1915 au Columbus Daily Monitor[5].

Ainsi, même si les femmes sont nombreuses dans le journalisme et les médias, et que leur nombre en politique a progressé au cours des dernières décennies, le monde de la caricature et du dessin éditorial reste un territoire masculin.

Le chemin fut long et tortueux à la fois pour les femmes qui souhaitaient entrer en politique et pour celles qui envisageaient de couvrir les activités parlementaires pour la presse. En 1961, une première (et une seule) femme, Claire Kirkland, est élue députée à l’Assemblée législative du Québec, lors d’une élection partielle. À la Tribune de la presse de l’Assemblée, la première correspondante parlementaire, Evelyn Gagnon-Dumas, n’y fait son entrée qu’en 1962[6], et il faut attendre 1967 pour que la Tribune accorde sa première accréditation à une femme, Gisèle Gallichan[7].

Alors, une caricaturiste? S’il est désormais bien établi que chaque quotidien québécois a son dessinateur éditorial, on ne compte pourtant qu’une dizaine de ces artistes, peut-être, en incluant les quotidiens de Montréal, de Québec et des autres régions. Et dans les années 1950 et 1960, ils étaient encore moins nombreux. Pensons que des journaux comme Le Soleil ou Le Devoir n’ont créé un poste régulier de caricaturiste éditorial que dans les années 1950, embauchant respectivement Raoul Hunter[8] et Robert LaPalme, alors que d’autres, tels que La Presse et les journaux anglophones, l’avaient fait depuis bien plus longtemps. Et c’est justement à cette époque qu’Aline Cloutier tente de se faire une place.

L’École des beaux-arts de Québec

Fondée en 1922, intégrée à l’Université Laval en 1970, l’École des beaux-arts de Québec compte parmi ses étudiants les plus éminents Jean-Paul Lemieux et Alfred Pellan. Le sculpteur et caricaturiste Raoul Hunter est un autre illustre diplômé de cette école où il fut un camarade de classe de Cloutier.

Au départ, l’étudiante en arts songe à la peinture ou à l’art publicitaire (le graphisme, dirait-on de nos jours). Adolescente, vers 14-15 ans, elle aime dessiner des portraits d’actrices de cinéma, en s’inspirant de photos publiées dans le magazine hollywoodien Silver Screen. Ce sont de tels dessins qu’elle présente au directeur de l’École des beaux-arts, Jean-Baptiste Soucy, afin de se faire admettre. Bien que le directeur lui dise que ce genre de dessin ne cadre pas avec « la politique de la maison », raconte-t-elle[9], elle fait son entrée à l’École. Soulignons que la collection Aline Cloutier comprend de très belles caricatures d’actrices – réalisées plus tard – dont celles de Marlene Dietrich et d’Audrey Hepburn.

Marlene Dietrich et Audrey Hepburn.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Ce n’est qu’à sa deuxième ou à sa troisième année, qu’elle s’essaie à la caricature. Un jour, le professeur de croquis demande aux étudiants de caricaturer leurs collègues :

Moi, ça a cliqué comme ça. J’ai fait une de mes amies. Je l’ai eue tout de suite. Et puis, mon Dieu, le professeur était ébahi! Ensuite, il nous en faisait faire souvent et j’avais toujours la meilleure note. Il était surpris, il trouvait que ça ressemblait aux caricatures qu’on voyait en Europe. Il trouvait que c’était plus stylisé. Je ne mettais pas beaucoup de détails, pas tellement de détails, j’essayais de faire le plus simple possible.

Elle envisage donc de continuer dans cette voie et décide de retirer le « r » de son nom pour signer « Cloutié ». Cependant, après l’obtention de son diplôme en 1951, elle travaille comme secrétaire-comptable avec son père courtier en douanes à Québec jusqu’en 1957. Puis, à son retour d’un séjour de quatre mois en Europe avec une amie, elle cherche du travail dans le domaine du dessin et du graphisme.

Portrait-charge et caricature de célébrités

Aline Cloutier se consacre surtout à la caricature comme « portrait-charge », dit-elle, et beaucoup moins au dessin éditorial, s’y sentant moins habile malgré son intérêt indéniable pour la politique aussi bien locale et nationale qu’internationale.

Rappelons que le mot caricature tire son origine du mot italien caricare, qui signifie « charger ». La caricature exagère et déforme les traits du sujet dessiné. Cloutier fait donc surtout dans le portrait-charge, sans pourtant ridiculiser les personnalités qu’elle dessine ou y aller d’une charge critique ou insolente. Ses dessins se rapprochent sans doute plus d’un autre courant, celui de la « caricature de célébrités », en vogue au début du XXe siècle dans certains magazines américains, comme Vanity Fair, à New York. Ces œuvres avaient moins une intention satirique et critique que de présenter une « interprétation vivante » des personnalités célèbres, qu’elles soient de l’univers des arts et du spectacle ou du monde politique et des affaires. Un portrait caricatural était considéré comme plus vivant et expressif qu’une photographie ou un sage portrait au fusain. Il s’agissait de permettre la reconnaissance des « stars » du moment, dans un style moderne[10].

Au début de sa carrière dans les années 1930, Robert LaPalme a pratiqué la caricature selon cette perspective, croquant la tête de personnalités canadiennes et étrangères de l’époque dans un style cubiste ou géométrique, inspiré par des artistes tels que l’Italien Paolo Garretto[11]. Il le fait notamment dans L’Almanach de la langue française et dans L’Ordre, publiés à Montréal[12].

Dans ses caricatures, Cloutier ne se lance pas dans de telles explorations formelles. Son style se compare sans doute plus dans une certaine mesure à celui de Normand Hudon, même si elle ne se réclame pas directement d’une influence ou d’une filiation dans le domaine.

La presse et la publicité

À la fin des années 1950, elle tente, sans succès, de proposer ses talents de caricaturiste au quotidien L’Action catholique : « C’est un monseigneur qui m’avait reçu. J’étais arrivée avec mes caricatures. Il me regardait en voulant dire : qu’est-ce qu’elle fait là-dedans, elle! »

Cloutier va ensuite frapper à la porte du journal Le Soleil, alors que Raoul Hunter est en vacances. Mais, il y a un malentendu : de nos jours, lorsque le caricaturiste d’un quotidien est en congé, il n’est pas rare qu’on lui trouve un suppléant, mais on ne l’entend pas ainsi au Soleil à cette époque. On lui répond qu’elle ne peut obtenir l’emploi de Hunter : « Mais ce n’était pas cela du tout mon idée. Je voulais savoir s’ils voulaient accepter des caricatures pendant qu’il était parti! Je ne voulais pas prendre sa job! »

Elle travaillera tout de même au Soleil de 1958 à 1960 comme dessinatrice publicitaire et graphiste à la division des impressions, concevant entre autres des dépliants publicitaires pour des hôtels de Québec. En outre, Cloutier se souvient de montages de papier qu’elle a conçus pour la promotion du quotidien, dont deux photographies de la collection témoignent.

Publicités pour Le Soleil, 1958.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Pour Le Soleil, elle crée également des dessins de mode, à la demande de journalistes des pages de mode. La collection Aline Cloutier comprend plusieurs dessins de mode féminine et de coiffure.

Dessins de mode.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Le Soleil achètera et publiera une seule et unique caricature politique d’Aline Cloutier. Le 16 avril 1960, sous le titre « SOUHAITS DE PÂQUES… », est dessiné un panier d’œufs de Pâques, les œufs étant les têtes du premier ministre britannique Harold Macmillan, du leader de l’Union des républiques socialistes soviétiques Nikita Khrouchtchev, du président américain Dwight Eisenhower et du président français Charles de Gaulle. Sous le dessin, une légende : « … Qu’ils éclosent en paix! »

La une du Soleil du 16 avril 1960.

Cette caricature fait référence à un sommet entre les quatre leaders qui devait se tenir à Paris le mois suivant. Cette rencontre avortera toutefois, même si les quatre dirigeants se trouvaient à Paris, en raison de l’affaire de l’avion-espion américain U2 ayant survolé l’URSS le 1er mai et abattu par des missiles soviétiques, incident ayant provoqué la colère de Khrouchtchev contre les États-Unis. Ainsi, les œufs n’écloront pas… Ce dessin s’inscrit bien dans le climat politique international tendu de la guerre froide.

En 1965, le Carnaval de Québec retient sa proposition d’affiche :

C’était un concours pour le Carnaval. J’avais gagné 300 $ en 1965. J’avais obtenu le deuxième prix. Mon ancien professeur, Omer Parent, avait envoyé une de ses affiches. Mais ils ont publié la mienne, parce qu’ils trouvaient peut-être que cela faisait plus commercial. La sienne, je ne l’ai jamais vue.

Cette affiche sera aussi reproduite à la une d’un cahier thématique du Soleil.

Affiche du Carnaval de Québec, 1965.
Collection privée

Cloutier a eu en outre d’autres idées pour cet événement annuel. Ainsi, à la fin des années 60, elle avait songé à des caricatures d’hommes politiques qui se seraient insérées dans le défilé. On trouve dans sa collection de dessins des ébauches mettant en scène, entre autres, René Lévesque accompagné d’Indiens et Pierre Trudeau avec des « Mounties[13] ». Même si ces projets sont restés dans les cartons, l’idée d’inclure la caricature politique dans le Carnaval de Québec aurait amené une dimension satirique et politique qui en est absente et que connaissent certains carnavals dans le monde (notamment en Allemagne).

Témoignage de Raoul Hunter sur Aline Cloutier

Hunter et Cloutier se sont connus pendant leurs études à l’École des beaux-arts de Québec. À propos des dessins de son ancienne collègue, le caricaturiste du Soleil est élogieux : « Elle était élève comme moi, une année plus avancée que moi. Oui, j’ai vu de ses caricatures. Elle était géniale, c’est le vrai mot. J’en ai vu des caricatures dans ma vie, mais elle, Aline, c’était extraordinaire. […] Il y en avait des fameuses. J’ai la mienne quand même. Elle est dans mon atelier à Saint-Cyrille. »

Ils se sont ensuite croisés au Soleil à la fin des années 1950, où Hunter était en poste depuis 1956 : «  La dernière fois que je l’ai vue, elle était au journal Le Soleil. Mais ils l’employaient [pour faire] ce pour quoi elle n’était pas préparée. Elle, ç’aurait été la caricature. Ils lui ont fait faire du dessin commercial ou quelque chose comme cela. »

Aline Cloutier a peu pratiqué le dessin éditorial et s’y sentait peu habile, mais que se serait-il passé si elle s’y était consacrée? « Je ne sais pas si elle aurait fait de la caricature éditoriale, vous savez. Elle, c’était des têtes; elles étaient fameuses. Mais je ne sais pas si elle a fait de l’éditorial. J’aimerais bien savoir. J’ai peut-être risqué de perdre mon emploi à cause de cela[14]! »

Une galerie de portraits de l’époque de la Révolution tranquille

Elle quitte Le Soleil en 1960. Avec son frère, elle retourne travailler au bureau de son père, décédé en 1959. Et pourtant, dans les années 60, elle consacre ses temps libres à la caricature, dessinant les personnages les plus marquants de l’actualité nationale et internationale du temps et tentant de faire publier ses œuvres dans des revues et des magazines. Elle propose même un jour des dessins au directeur du quotidien La Presse, qui accueille mal son offre. Est-ce parce que le moment était mal choisi (un samedi)? Parce qu’elle « n’avait pas le tour » de se faire valoir? Parce qu’on se demandait ce qu’une femme « faisait là-dedans » ?

Ces caricatures de célébrités composent l’essentiel de la collection de dessins léguée aux archives de l’Assemblée. Elles forment une sorte d’annuaire ou de Who’s Who de l’époque, un panorama des personnalités du monde vu du Québec. Ces dessins mettent en évidence son talent en caricature. Certains sont superbes et auraient pu se retrouver dans un magazine littéraire ou d’actualité, par exemple.

Par ailleurs, même s’il y a très peu de caricatures éditoriales dans la collection, on y remarque le sens de la satire de Cloutier, par exemple dans un dessin sur la visite de la reine Élisabeth II à Québec en octobre 1964 dans un climat tendu et fébrile. On voit la reine descendre de l’avion de la Royal Canadian Air Force couverte d’une armure. La suite est connue : la reine est accueillie assez froidement par la population, et la police usera d’une force excessive contre des manifestants indépendantistes. L’événement a été baptisé « le samedi de la matraque ». Dans un autre dessin, le premier ministre Lesage est en discussion avec la ministre fédérale Judy LaMarsh, à l’époque de la création de la Caisse de dépôt et placement du Québec, en 1965, et rêve à… Brigitte Bardot. Mentionnons également une caricature du sénateur de l’Arizona Barry Goldwater, candidat du Parti républicain à la présidence des États-Unis en 1964, achetant perruque et fausse moustache au créditiste Réal Caouette; à Ottawa, le député du Crédit social du Canada est un rare appui à la candidature de Goldwater, qui a donné à l’époque un virage résolument conservateur aux républicains.

LA REINE À QUÉBEC!!! (on dit que la reine sera bien protégée).
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.
« Caouette et sénateur américain ».
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Les grands noms de la politique québécoise et canadienne de toutes appartenances se trouvent dans la collection, de Paul Sauvé à Jean-Jacques Bertrand, de Jean Lesage à Pierre Laporte et Robert Bourassa, de René Lévesque à Pierre Bourgault, en passant par Daniel Johnson père, Maurice Bellemare, Paul Gérin-Lajoie, Claire Kirkland et Yves Michaud. Les premiers ministres canadiens, de John Diefenbaker à Pierre Trudeau, y sont également présents. Aline Cloutier offre aussi un panorama des leaders et des personnalités politiques de la scène mondiale des années soixante, tels que Konrad Adenauer, Fidel Castro, David Ben Gourion, Léonid Brejnev, Lyndon Johnson, Mao, Gamal Abdel Nasser, Richard Nixon, le Shah d’Iran, le maréchal Tito et Zhou Enlai.

Jean Lesage, Robert Bourassa, Daniel Johnson père, René Lévesque.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

John Diefenbaker, Lester B. Pearson, Pierre Elliott Trudeau.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Fidel Castro, Lyndon B. Johnson, Gamal Abdel Nasser, Josip Broz Tito.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Le monde des arts et de la culture, locale et internationale, n’est pas en reste. Cloutier a dessiné des vedettes du cinéma notamment Brigitte Bardot, Jean-Paul Belmondo, Catherine Deneuve, Yul Brynner, Geneviève Bujold, Fernandel, Sophia Loren ou Marie Laforêt, des artistes de la musique et de la chanson comme Guy Béart, Juliette Gréco, Maria Callas, Maurice Chevalier, Robert Charlebois, Michel Louvain, Gilles Vigneault et les Beatles.

Des têtes d’affiche de la télévision québécoise du temps, notamment Dominique Michel, Jacques Desrosiers, Michelle Tisseyre et l’annonceur Gabi Drouin figurent dans  la collection. Elle a aussi fait le portrait des frères Maurice et Henri Richard, du Canadien de Montréal, mais elle a dessiné plus d’écrivains et d’auteurs que de sportifs : ainsi, on peut voir des caricatures de Marie-Claire Blais, Françoise Sagan, Pierre Vallières et de l’historien Henri Guillemin.

Brigitte Bardot, Robert Charlebois, Marie-Claire Blais, Henri Guillemin.
Collection Aline Cloutier. Assemblée nationale du Québec.

Le congrès de fondation du Parti québécois à Québec

Du 11 au 14 octobre 1968, au « Petit Colisée » de Québec, se tient le congrès de fondation du Parti québécois, qui naît de la fusion du Mouvement souveraineté-association de René Lévesque et du Ralliement national de Gilles Grégoire. Au cours de ce congrès, les délégués désignent René Lévesque chef de la nouvelle formation et se prononcent en faveur de l’appellation « Parti québécois », préférée à d’autres propositions telles que « Parti souverainiste du Québec ». Quelques jours plus tard, Pierre Bourgault, chef du Rassemblement pour l’Indépendance nationale, demandera la dissolution de son parti et invitera ses membres à se joindre à la formation de Lévesque. Le Parti québécois participera à ses premières élections générales en avril 1970.

Membre du nouveau parti, Aline Cloutier contribue à la décoration de la scène, avec des caricatures géantes de Gilles Grégoire (habillé en « Mao ») et de René Lévesque, chefs des deux partis appelés à fusionner. Elle réalise ces dessins bénévolement, avec l’enthousiasme de la militante participant à un événement historique.

Ces grands dessins n’ont jamais été retrouvés. Du reste, sur la vidéo du discours de clôture de René Lévesque (disponible en ligne), à la fin du discours et lorsqu’il quitte la scène, on peut remarquer derrière lui de grandes affiches signées « Cloutié », même si ce n’est pas d’une grande clarté.

René Lévesque livre le discours de clôture du congrès de fondation du Parti québécois en 1968. On devine en arrière-plan une affiche dessinée par Aline Cloutier.
Captures d’écran (YouTube)

Une certaine reconnaissance tardive

Par la suite, elle vit à Ottawa pendant une vingtaine d’années, se consacrant à l’éducation de sa fille, occupant différents emplois et dessinant à l’occasion des costumes et des décors de théâtre pour enfants. Elle crée aussi quelques caricatures, jusqu’en 2000 environ, brossant le portrait d’hommes politiques d’une époque plus récente, dont Brian Mulroney, Lucien Bouchard, Stéphane Dion et François Ouimet.

Encore aujourd’hui, elle s’informe de l’actualité et de la politique : « J’aurais été bien dans un journal, parce que la politique m’a toujours intéressée. Énormément! » Abonnée au Devoir, elle n’a pourtant jamais tenté d’y publier des caricatures.

Parmi ses caricaturistes préférés, elle nomme Jean-Pierre Girerd, qui fut à La Presse de 1968 à 1995, et André-Philippe Côté, le caricaturiste du Soleil depuis 1997, de qui elle dit avoir apprécié entre autres une caricature publiée « dans le temps de la crise des carrés rouges ».

Méconnue et peu publiée jusqu’ici, Cloutier se dit parfois qu’elle n’était « pas à la bonne époque ». Depuis quelques années, on a pu voir ses dessins reproduits dans certaines publications, comme les ouvrages du professeur Alain Lavigne sur le marketing des partis politiques[15] et la biographie du maire de Québec Gilles Lamontagne par l’historien Frédéric Lemieux[16]. Ces auteurs contribuent à faire connaître le travail de l’une des rares caricaturistes du XXe siècle, une artiste qui fut probablement la première à faire paraître une caricature dans un grand quotidien québécois.


  1. Cet article a également fait l’objet d’une publication dans le Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, vol. 45, no 1, 2016, p. 5-15.
  1. Mira Falardeau, Femmes et humour, Presses de l’Université Laval, 2014, p. 3. [retour]
  2. En revanche, de plus en plus de femmes se font une place dans la bande dessinée au Québec. Au cours des années récentes, on n’a qu’à penser à des noms comme Iris, Julie Rocheleau, Zviane ou Catherine Ocelot. [retour]
  3. Falardeau, Ibid., p. 104. Depuis 2001, Sue Dewar dessine pour les journaux de Sun Media, à Toronto. En 1995, elle a signé un dessin controversé, où un castor gruge la jambe de Lucien Bouchard… [retour]
  4. Ibid., p. 33. [retour]
  5. Ibid., p. 37. [retour]
  6. « Les débuts des femmes courriéristes parlementaires suivent de quelques mois l’entrée de la première femme députée à l’Assemblée législative du Québec, au début des années 1960. En effet, peu après l’élection de Claire Kirkland-Casgrain, lors des partielles du 14 décembre 1961, la journaliste Evelyn Gagnon-Dumas entre à la Tribune de la presse du Québec à titre de première femme courriériste parlementaire. » (Marline Côté, Femmes journalistes à la Tribune de la presse de Québec, Québec, mémoire de stage, Fondation Jean-Charles-Bonenfant, juin 2007, p. 15). [retour]
  7. Ibid., p. 16. [retour]
  8. Voir Pierre Skilling, « Raoul Hunter, le caricaturiste », Bulletin de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, vol. 41, n° 1 (2012), p. 5-13. [retour]
  9. Entrevue de l’auteur avec Aline Cloutier, 6 juin 2014. [retour]
  10. Voir Wendy Wick Reaves, Celebrity Caricature in America, New Haven/Londres, Yale University Press, 1998. [retour]
  11. Elle dit avoir croisé une seule fois Robert LaPalme, que lui a présenté son beau-frère, lors d’un événement au Palais Montcalm à Québec, mais LaPalme n’a pas semblé intéressé à en savoir plus sur cette femme qui s’adonnait à la caricature, raconte-t-elle. [retour]
  12. Voir Pierre Skilling, « Un parcours entre caricature et peinture au Québec : Robert LaPalme à la recherche de l’art figuratif supérieur », dans Ridiculosa, no 11, revue de l’ÉIRIS, Brest, Université de Bretagne occidentale, 2005; Jean-François Nadeau, LaPalme : La caricature et autres sujets sérieux (entretiens), Montréal, L’Hexagone, 1997. [retour]
  13. Agents de la « police montée » canadienne. [retour]
  14. Propos recueillis en août 2011. [retour]
  15. Alain Lavigne, Lesage, le chef télégénique : Le marketing politique de « l’équipe du tonnerre », Québec, Septentrion, 2014. [retour]
  16. Frédéric Lemieux, Gilles Lamontagne : Sur tous les fronts, Québec, Del Busso, 2010. [retour]