La parution de l’ouvrage Grandiose sous toutes ses formes au printemps 2023 visait à combler un créneau demeuré vacant dans l’éventail des publications de l’Assemblée nationale du Québec. Cet article est l’occasion de dévoiler l’ensemble de cette démarche de création.
Frédéric Lemieux
Service de la recherche
Il y a quatre ans, la Direction des communications sollicitait la Direction de la Bibliothèque pour lui proposer un projet fertile en défis : produire un livre abordable, intemporel et abondamment illustré qui montre certains des plus beaux lieux de l’Assemblée nationale.
La démarche de réflexion s’étend rapidement à l’ensemble des aspects que comporte la conception d’un livre. De nouveaux critères s’ajoutent afin de créer l’œuvre la plus versatile possible. En résumé, elle devait offrir un récit accessible à un vaste lectorat, allant du grand public au chef d’État étranger. Le livre serait en vente à la Boutique de l’Assemblée nationale et susciterait l’intérêt des visiteurs par son bas prix et son format léger. Un graphisme soigné mettant en valeur la beauté des lieux en ferait le cadeau protocolaire par excellence, et une carte de visite pour la présidence en contexte de missions parlementaires à l’étranger et d’accueil de dignitaires. Finalement, la rencontre entre images magnifiques et courts textes évocateurs devait marquer l’imaginaire des lecteurs envers l’institution, le tout en moins de cent pages.
L’ÉQUIPE
Conçu et rédigé par Frédéric Lemieux, de la Bibliothèque, l’ouvrage a été imaginé sur le plan visuel par Marie-Claude Chabot-Fradette, graphiste aux Communications. L’aventure que constitue la réalisation d’un livre a également mis en action Béatrice Zacharie, chargée de projet, Nathalène Armand-Gouzi et Caroline Gagné, réviseures. Le talent de chacune d’elles a permis d’élever le résultat final à un niveau au-delà des attentes.
En soutien, plusieurs collaborateurs internes ont contribué à cette conversation en équipe durant le parcours vers la publication : concept, rédaction, style, édition, images, graphisme, maquette, rapport entre textes et visuel, etc. Toutefois, avant d’être lancé, ce processus a été marqué par une réflexion supplémentaire sur d’autres caractéristiques moins visibles que l’ouvrage devait renfermer.
LES PREMIERS PAS
Pour définir le concept du livre, une dizaine d’ouvrages souvenirs provenant d’autres parlements ont été analysés et comparés. Une évaluation de la teneur de leurs contenus, leur point de vue éditorial et leurs forces et faiblesses contribue à développer un angle adapté aux réalités de notre institution.
Bien sûr, il était préférable d’éviter le piège d’écrire un autre livre à prédominance historique comme l’Assemblée nationale en a publié plusieurs depuis 1981[1]. C’est pourquoi l’auteur a d’emblée choisi d’adopter un style où l’historien de profession se place en retrait, sans nier la profondeur de l’histoire institutionnelle.
L’APPROCHE NARRATIVE
L’examen des publications d’autres parlements a permis d’écarter certaines trames narratives : récit chronologique suivant l’érection des édifices (ce qui aurait placé le nouveau pavillon d’accueil à la fin du livre), parcours de style « visite guidée » (plutôt convenu et au ton trop pédagogique), ou encore présentation par ordre d’importance des lieux de l’institution (difficile à établir dans certains cas).
Pour éviter ces écueils et donner du corps au propos, un récit moins factuel, plus littéraire, a été conçu autour du trio « fonctions-besoins-évolutions » de chaque milieu représenté. La clé se trouve dans le rôle que chacun joue au sein de l’institution, les raisons de leur construction et leurs caractéristiques marquantes. De là, il a été possible de créer un registre fait de courts textes évocateurs de l’institution sur le plan politique, parlementaire, symbolique, immobilier, fonctionnel, patrimonial et à un moindre degré, historique.
LA STRUCTURE
Qui dit livre institutionnel pérenne sous-entend mises à jour et rééditions périodiques, une réalité à laquelle s’ajoute un défi de taille, d’ici 2026, des lieux emblématiques comme la Bibliothèque, la salle du Conseil législatif et, surtout, la salle de l’Assemblée nationale. Que faire pour limiter les répercussions sur le contenu du livre?
L’idée maîtresse a été d’imaginer avant la rédaction une structure différente d’un traditionnel plan d’écriture à la progression linéaire (objectif de départ, développement, conclusion). Le résultat pourrait se qualifier de « concept modulaire », c’est-à-dire un canevas compartimenté en sections, aux contenus aisément modifiables et isolés les uns des autres, sans perturber l’ensemble et réduisant d’autant les mises à jour dès la conception grâce à un récit demeurant en altitude.
Ainsi, le texte et les photographies évitent de mettre l’accent sur des aspects trop précis des lieux qui seront l’objet de transformations, et ce, peu importe l’ampleur des changements.
LA PRODUCTION
L’Assemblée nationale a décidé d’éditer elle-même l’ouvrage par souci d’efficacité. Ce choix comportait de nombreux avantages : éviter les démarches d’appel d’offres et les contraintes des calendriers de production des maisons d’édition, avoir un plein contrôle du contenu et une planification des tirages et des dates de réédition. Seul a été nécessaire l’apport d’un imprimeur externe pour produire l’ouvrage.
L’édition à l’interne a été un atout : elle a apporté beaucoup de souplesse à l’échéancier pour l’adapter aux priorités et aux réalités mouvantes de notre milieu.
LE RÉCIT
Pour revenir au récit, l’ouvrage se veut intemporel et s’ouvre par un mot introductif invitant avec simplicité à découvrir les beautés de l’Assemblée nationale[2]. Le texte est le principal vecteur d’information d’un style fluide. Il va à l’essentiel, met l’accent sur six des plus beaux lieux de l’Assemblée nationale. Chacun a son caractère, des fonctions et une ambiance qui lui sont propres : l’hôtel du Parlement, le pavillon d’accueil, la salle de l’Assemblée nationale, la salle du Conseil législatif, la Bibliothèque et le restaurant Le Parlementaire.
Le style permet autant de lire l’ouvrage du début à la fin que de se concentrer sur une seule section choisie au hasard. En guise de conclusion, un texte simple, court et ouvert résume ce que représente l’Assemblée aujourd’hui et son importance dans notre société.
Le livre insiste sur la fonction de chacun des lieux. Un même souffle les traverse et expose leurs rôles, différents, mais complémentaires. Le récit puise librement dans les traits marquants de cet univers grâce au pouvoir d’évocation. Il dévoile la personnalité inspirante de l’Assemblée nationale, appuyé par de magnifiques images visant à susciter l’émotion et une impression de grandeur.
La notion de contraste est un autre fil conducteur qui sert à mettre en relief de nombreuses dualités, révélées par le récit, et bien vivaces au sein de l’institution. Cet angle riche, qui invite à la réflexion, mérite d’être pleinement exploité pour plusieurs raisons.
Quelques dualités institutionnelles
| Permanence | Évolution |
| Passé | Avenir |
| Patrimoine | Modernité |
| Tradition | Changement |
| Prudence | Audace |
| Décorum | Simplicité |
| Stabilité | Effervescence |
| Neutralité | Émotion |
| Décorum | Simplicité |
| Contrainte | Ouverture |
| Silence | Parole |
| Dissimulé | Visible |
| Profondeur | Surface |
Ces contrastes, souvent occultés, mais bien présents, révèlent un aspect de l’identité propre à chaque lieu en quelques mots. Ils la synthétisent à travers un même prisme qui, pour la première fois, intègre au portrait d’ensemble le dernier venu : le pavillon d’accueil, dont la symbolique nouvelle, peu connue, n’a jusqu’ici jamais été décrite avec autant de soin pour expliquer la place qu’il occupe au sein des cinq lieux séculaires.
Ce portrait tout en contrastes montre la variété des ingrédients qui composent l’équilibre unique de l’institution. Ces réalités caractérisent et traversent toutes les sphères de cet univers. Elles forment autant de clés de compréhension offertes dans un ouvrage simple en apparence, mais en réalité riche des nuances fondamentales qui forment l’âme de l’Assemblée nationale et des lieux qu’elle occupe.
LE GRAPHISME
Au-delà du récit, les images et la conception graphique agissent de concert pour susciter la curiosité, mettre en valeur la beauté du milieu et faire naître des émotions.
Pour donner quelques exemples de leur profondeur, chacune des six sections s’ouvre avec une photographie en noir et blanc. Ce traitement visuel distinct crée une césure avec la couleur présente dans le reste du livre. La forme du cercle, qui évoque l’agora athénienne et l’esthétique du pavillon d’accueil, rythme chaque double page grâce à la présence de demi-cercles, parfois pleins ou en filet. Leur positionnement varie pour dynamiser la mise en page.
L’ordre d’insertion des images dans l’ouvrage suit en général une logique qui nous fait cheminer dans l’espace : la préface nous accueille à l’extérieur de l’Assemblée nationale, dans les jardins, et l’épilogue nous y ramène. L’ordre de découverte des images dans chaque lieu reprend avec souplesse cette logique : extérieur, entrée, visite, puis sortie. Dans chaque section, la position des photographies varie afin que les doubles pages soient à la fois uniques et esthétiques.
Tous les éléments visuels, on le constate, forment d’autres trames distinctes ayant leurs propres logiques qui se croisent, se renforcent et se complètent avec finesse.
Extraits de Grandiose : sous toutes ses formes
CONCLUSION
Dévoiler la genèse d’un livre révèle les intentions qui façonnent son identité et qui agissent en amont sur l’ensemble du processus de création. Ce parcours en soi raconte une tout autre histoire que celle inscrite dans les pages d’une œuvre. L’appréciation générale de Grandiose depuis sa parution justifiait, selon nous, de lever le voile sur cette démarche de création originale qui se distingue des autres publications de l’Assemblée nationale. Par devoir de mémoire, également, et pour révéler aux lecteurs les réflexions invisibles, demeurées jusque-là de l’autre côté du miroir, qui forment en réalité un tout avec l’ouvrage.
L’ouvrage est également disponible en anglais sous le titre : Magnificent in every way.
- Ce terrain est bien meublé d’ouvrages de qualité qui demeurent des références encore aujourd’hui. Nous pensons à L’hôtel du Parlement (1981), L’Hôtel du Parlement, témoin de notre histoire (1986), L’hôtel du Parlement, mémoire du Québec (2007) ainsi que Québec : quatre siècles d’une capitale (2008). [retour]
- Autrefois, ce type de mot était signé par la présidence de l’Assemblée nationale, mais les changements périodiques de titulaire à cette fonction ont démontré qu’il était préférable de signer « Assemblée nationale » pour assurer un caractère intemporel à un ouvrage. [retour]