Attentif aux sujets qui pourraient interpeller les parlementaires dans leur travail, le Service de la recherche de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale propose des notes d’information sur des thèmes d’actualité et des enjeux émergents. C’est le cas de la série Matière à réflexion, qui rassemble l’essentiel de ce qu’il faut savoir sur certaines questions d’intérêt public.

Dans plusieurs régions du Québec, les lots de terre se font de plus en plus rares. Sous la pression de promoteurs et d’investisseurs non traditionnels, le marché immobilier rural est à la hausse. Le rapport de Financement agricole Canada (FAC) sur la valeur des terres agricoles en 2020, publié en mars 2021, indique une augmentation moyenne de 7,3 % du prix des terres pour l’ensemble du territoire québécois.
Ce contexte mine la capacité de la relève agricole québécoise. Faute de moyens financiers, les jeunes agriculteurs doivent souvent se contenter de louer une terre, inhibant par le fait même les investissements nécessaires à l’expansion de leur exploitation.
Première lecture propose ici une nouvelle fiche d’information Matière à réflexion qui brosse un portrait des principaux facteurs contribuant à la hausse du prix des terres agricoles. Cette fiche d’information est également accessible sur le site web de la Bibliothèque de l’Assemblée nationale, comme d’autres notes produites par le Service de la recherche.
Josée Levasseur
Service de la recherche
En quelques mots
- La tendance à la hausse de la valeur des terres agricoles (terres en culture, pâturages, vergers, érablières et boisés) s’est accélérée au cours de la dernière décennie, passant de 5 858 $/ha à 17 707 $/ha entre 2009 et 2019 selon La Financière agricole, soit une augmentation de 202 %[1].
- Cette croissance a des répercussions directes sur la valeur des fermes au Québec. Au 31 décembre 2019, l’actif moyen des fermes avait une valeur marchande de 3,09 millions de dollars. En dollars courants, il s’agit d’une augmentation de 99 %, comparativement à la valeur moyenne observée en 2009[2].
- Les terres agricoles sont l’actif le plus important pour la plupart des entreprises agricoles. Pour la majorité d’entre elles, cette hausse a généré plus de capitaux pour l’entreprise que le bénéfice tiré de la production. Dans ce contexte, les transferts intergénérationnels des entreprises agricoles sont plus difficiles à réaliser. Plusieurs parents ont accumulé de lourdes dettes et très peu d’épargne en dehors de leur revenu agricole et fait le choix d’investir dans leur entreprise, qui constitue, en somme, l’essentiel de leur fonds de retraite. Or, pour maintenir leur ferme dans le patrimoine familial, des agriculteurs sont parfois dans l’obligation de vendre au rabais ou de faire don de leurs actifs à leurs descendants.
- De manière générale, les analystes s’entendent pour affirmer que la hausse du prix des terres agricoles au Québec est principalement due aux faibles taux d’intérêt, aux marges de profits positives des exploitations de céréales et d’oléagineux ainsi qu’au moratoire édicté en 2004 par le Règlement sur les exploitations agricoles qui interdit d’accroître les superficies en culture dans 571 municipalités au Québec, contribuant à leur raréfaction[3].
- Les exploitants agricoles tiennent en partie responsable de la situation des acheteurs non traditionnels avec qui ils doivent compétitionner : des investisseurs québécois ou étrangers, des personnes issues de milieux urbains qui veulent un pied-à-terre à la campagne et des promoteurs immobiliers qui achètent à fort prix des terres situées en périphérie du milieu urbain afin, espèrent-ils, d’en changer le zonage[4].
- Des sociétés d’investissement comme la québécoise Pangea sont aussi mises en cause par certains acteurs du milieu agricole. Ces sociétés achètent des terres agricoles et s’associent à des agriculteurs pour qu’ils puissent cultiver une plus grande superficie de terres en plus de leur offrir leur expertise. Ensemble, ils fondent une coentreprise qui achète l’équipement nécessaire pour exploiter les champs. L’agriculteur demeure toujours partenaire majoritaire, c’est-à-dire 51 % pour lui et 49 % pour Pangea. C’est sur cette base que sont partagés les profits.
- Comme le rapporte une analyse du modèle d’affaires de Pangea produite en avril 2018 par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, l’Union des producteurs agricoles tient Pangea responsable d’au moins 50 % de l’inflation en plus de participer au phénomène d’accaparement des terres agricoles. Cependant, le Ministère n’est pas en mesure de confirmer que Pangea est responsable de ce dont on l’accuse.
7,3 % Augmentation de la valeur moyenne des terres agricoles au Québec en 2020, comparativement à 5,4 % pour l’ensemble du Canada[5] | 2 % Superficie totale du Québec consacrée à l’agriculture[6] |
42 000 Nombre d’agriculteurs au Québec[7] | 1 500 $ Augmentation, par hectare, de la valeur moyenne des transactions de terres en culture pour l’année 2020[8] |
Récents travaux parlementaires sur le sujet
- En mars 2015, la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles s’est saisie d’un mandat d’initiative portant sur l’accaparement des terres agricoles. Au terme de ses travaux, elle a notamment recommandé que toute transaction soit désormais assortie d’une obligation de divulgation au ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation. En novembre 2017, le Ministère a publié un Rapport relatif au suivi des transactions foncières agricoles effectuées entre 2006 et 2016. On y présente douze des principaux acheteurs au Québec ainsi que le nombre de transactions qu’ils ont effectuées. Pangea figure au premier rang avec 33 transactions.
- Le 17 mars 2020 a été sanctionnée la Loi visant principalement à contrôler le coût de la taxe foncière agricole et à simplifier l’accès au crédit de taxes foncières agricoles. Elle répond à plusieurs des attentes formulées par les producteurs agricoles et forestiers qui, au cours des dernières années, ont dû conjuguer avec une croissance rapide de l’évaluation foncière des terres entrainant des répercussions sur les taxes qu’ils devaient payer.
Ailleurs au Canada et dans le monde
- À Ottawa, le 9 mars 2018, le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts a déposé un rapport intitulé Une préoccupation croissante : comment garder les terres agricoles dans les mains des agriculteurs canadiens. Il recommande de renforcer le cadre législatif entourant la protection des terres agricoles. Il souhaite aussi que le ministère des Finances du Canada étudie la possibilité d’augmenter le montant maximum qu’un agriculteur peut déduire de ses gains en capital provenant de biens agricoles, qui est plafonné à 1 million de dollars encore à l’heure actuelle. Cela aurait pour effet de faciliter l’acquisition des terres agricoles par de nouveaux agriculteurs.
- Le 20 mars 2017, l’Assemblée nationale française a adopté la Loi n° 2017-348 relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle. La loi vise notamment à éviter l’accaparement et la financiarisation des terres agricoles par des sociétés d’investissement françaises ou étrangères. Elle prévoit préserver le modèle français d’exploitation familiale en renforçant le pouvoir des Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural). Ces sociétés disposent d’un droit de préemption lors de la cession d’une exploitation agricole. C’est-à-dire qu’elles sont systématiquement informées des projets de vente de biens ruraux par les notaires et peuvent les acheter à la place de l’acquéreur initial. Le but est de revendre à un autre acquéreur dont le projet répond mieux aux enjeux d’aménagement locaux. Notons qu’au cours de la dernière décennie, la valeur marchande des terres agricoles françaises est demeurée stable.
- En Basse-Saxe, en Allemagne, le gouvernement régional a adopté en décembre 2016 une loi modifiant le droit sur les transactions foncières et le fermage (location d’une exploitation agricole) et visant à soutenir les structures agricoles familiales tout en limitant les augmentations de prix. Les exploitants agricoles locaux peuvent désormais bénéficier d’un droit de préemption pour acquérir les parcelles pour lesquelles ils signalent leur intérêt.
Références
- David Ouellet, Fixation du prix de vente des exploitations agricoles québécoises : comparaison entre fermes laitières et autres types de production, Mémoire de maîtrise, Québec, Université Laval, 2016, 121 p.
- David Ouellet et Jean-Philippe Perrier, « Prix de vente des fermes au Québec. Divergence de vue entre les besoins des cédants et des repreneurs », Économie rurale, 363, janvier-mars 2018, p. 65-80.
- Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, Une préoccupation croissante : Comment garder les terres agricoles dans les mains des agriculteurs canadiens, Parlement du Canada, 2018, 44 p.
- Voir aussi La Financière agricole, Bulletin Transac-TERRES Édition 2014, pour une mise à jour des données de 2009. [retour]
- BIOCLIPS, Une ferme vaut en moyenne 3 millions de dollars au Québec, Vol. 29, n° 17, 18 mai 2021. [retour]
- Céline Normandin, « La hausse du prix des terres se poursuit au Québec », Le Bulletin des agriculteurs, 15 mars 2021. Voir aussi Roxane Léouzon, « La relève agricole québécoise freinée par la hausse du prix des terres », Le Devoir, 16 mars 2021. [retour]
- Radio-Canada, Accès à la terre : la situation se dégrade pour la relève agricole, 19 novembre 2020 et Union des producteurs agricoles, Financiarisation des terres agricoles : quel avenir pour nos jeunes?, 12 mars 2021. [retour]
- Financement agricole Canada, Rapport valeur des terres agricoles de FAC 2020, 15 mars 2021, p. 4. [retour]
- Union des producteurs agricoles, L’agriculture en chiffres. [retour]
- Ibid. [retour]
- Gouvernement du Québec, Transac-TERRES 2020 : La valeur moyenne des transactions de terres en culture affiche une augmentation de plus de 1 500 $ l’hectare. [retour]